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Publié par Doyenné Pau-Périphérie

 

Saint-Julien

 

Saint-Julien constitue la dernière étape de l’ambitieuse campagne constructive lancée par Mgr Gieure, dans les premières décennies du XXe siècle.

 

Chantier

- Comme pour Notre-Dame et Saint-Joseph, c’est l’accroissement démographique qui poussa l’évêque de Bayonne à fonder une nouvelle paroisse.

- Il faut dire que, dès 1933, les habitants du quartier s’étaient plaints du fort éloignement des églises du centre ville, Saint-Jacques et Saint-Martin.

- Bien décidée à influencer les responsables diocésains en faveur d’une nouvelle fondation, ils prirent l’initiative d’ériger une chapelle provisoire et de trouver un logement pour le futur curé.

- Devant tant d’empressement et de détermination, Mgr Gieure répondit favorablement à la requête : le 12 janvier 1933, il officialisa la création de la paroisse Saint-Julien qui plaça sous la responsabilité du chanoine Jean Passail.

 

- Ordonné prêtre en 1911, à l’âge de 27 ans, l’abbé Passail avait été vicaire à Arthez-de-Béarn, avant d’être appelé auprès du curé de Sainte-Marie d’Oloron, Monseigneur Ambroise. 

- En 1927, Monseigneur Gieure le nomma curé de la paroisse de Moumour où il officia 6 années durant lesquelles il refit la décoration intérieure du bâtiment.

=> C’est donc en considération de ses capacités que le prélat décida de lui confier la mission de bâtir une nouvelle église dans ce nouveau quartier de la ville de Pau.

 

- Véritable curé bâtisseur, chargé de rassembler l’ensemble des fonds nécessaires, l’abbé Passail dut, tout d’abord, trouver un terrain susceptible d’accueillir la future église.

- Il eut alors la chance de se lier d’amitié avec la famille Fourcade qui possédait une villa appelée Bagatelle Park.

- Il s’agissait d’un grand domaine constitué d’une maison, de bâtiments à usage d’écuries et de remises, et d’un terrain estimé à plus de 2 hectares.

- L’ensemble avait été édifié entre 1865 et 1895, à l’époque où ce mode d’habitation, importé par les élites anglaises, connaissait un large succès à Pau.

- Ayant décidé de se défaire de Bagatelle Park, la famille Fourcade prit le parti de morceler la propriété en 17 lots, de superficies différentes.

- Étant impliqué dans la création de la paroisse, Mr Fourcade mit gracieusement à disposition le terrain sur lequel fut élevée la chapelle provisoire, et réserva le lot n°1 à la construction de la future église et de ses dépendances.

- En 1934, en pleine crise économique, l’abbé Passail réussit à réunir les 100 000 francs nécessaires à l’acquisition du terrain.

- La vie religieuse de la paroisse continua à se dérouler dans la chapelle provisoire jusqu’en 1937.

- En 1935, lors de la kermesse du mois de juin, le curé présenta la maquette et les plans de l’édifice réalisés par l’architecte Henry Challe.

- Un an plus tard, Monseigneur Houbaut vint bénir les débuts d’un chantier qui se déroula sur près de 20 années, puisque la dernière tranche de travaux fut inaugurée en 1957.

- Pourtant, en dépit des difficultés d’approvisionnement causées par la 2nd guerre mondiale, et des difficultés rencontrées pour réunir les sommes nécessaires à l’édification et l’ornementation de l’église, l’abbé Passail réussit - ce qui est assez rare – à réaliser la quasi-totalité de son projet

 => Il n’eut pas, comme beaucoup de ses confrères, à remettre en cause l’ambition et l’homogénéité du projet  initial.

- C’est en cela que Saint- Julien est si intéressante.

- Elle offre une remarquable et cohérente illustration du renouveau de l’art sacré entreprit en France après la Première Guerre mondiale.

- L’architecture un petit peu massive et austère sert, en effet, ici d’écrin à un remarquable programme décoratif qui rivalise sans peine avec les plus audacieuses et abouties réalisations des chantiers du cardinal.

 

Architecture

- Située en bordure de route, l’église n’est pas, comme le veut la tradition, orientée.

- Le plan de l’église est très simple. Il se lit assez facilement depuis l’extérieur

- Il s’agit d’un vaisseau rectangulaire de 12 sur 25 m, comprenant 1 nef et 2 collatéraux.

- L’église est achevée à l’ouest par une abside polygonale.

- Il n’ya pas de transept : la nef communique directement avec le chœur par un arc triomphal en plein-cintre.

- Le chœur est surmonté d’une coupole montée sur pendentifs, tandis que le vaisseau central – qui est précédé d’un vestibule - est surmonté d’une voûte en berceau plein cintre.

- Les collatéraux sont surmontés de tribunes.

- Les formes massives de l’église s’organisent de manière étagée => parfaite lisibilité des espaces.

 

- Façade principale est dominée par un mur-pignon couronné d’une croix de pierre et percé d’une immense rose surmontée d’une stature colossale de saint Julien, réalisée par Ernest Gabard.

- Dans son projet initial, l’architecte avait prévu une ornementation plus précieuse (voussures ornées pour le portail, bandeaux sculptés, motifs végétaux en méplats autour de la rose).

- Par manque de moyens, il renonça à ces ornements.

=> Cette allure dépouillée au bâtiment qui adopte une silhouette néo-romane ou néo-byzantine.

- Challe avait aussi prévu d’édifier un clocher élancé accueillant à son sommet 4 anges musiciens.

- Challe évolua donc vers une certaine simplicité, une épure – que l’on pourrait qualifier d’Art déco - qui font de ce bâtiment une sorte d’écrin monumental destiné à mettre en valeur l’exubérance du décor installé par les frères Mauméjean entre 1940 et 1957.

 

Mauméjean

- L’aventure artistique de cette dynastie de décorateurs débuta en 1862, quand Jules-Pierre Mauméjean - héritier d’une lignée de peintres sur faïence landais - décida de créer la première fabrique de vitraux peints de la région paloise.

- Installé dans la rue Montpensier, dans un atelier situé à quelques mètres seulement du chantier de l’église Saint-Jacques, le peintre verrier bénéficia, durant ses premières années d’activité, d’un contexte particulièrement favorable qui lui permit d’honorer un nombre considérable de commandes dans le Béarn et les Landes.

- Pourtant le départ des congrégations religieuses l’obligea à se mettre en quête de nouveaux marchés.

- Séduit par des lumières plus méridionales, il s’installa, en 1890, à Anglet puis, 3 ans plus tard, à Biarritz.

- Cette implantation dans le Pays basque marqua un tournant important dans l’histoire de la famille qui profita de contacts noués avec l’importante colonie espagnole refugiée dans le sud-ouest pour fonder le projet d’établir son activité en péninsule ibérique.

- Nommé peintre officiel de la Maison royale d’Alphonse XII en 1882, Jules Mauméjean ouvrit, vers 1896, un 1er premier atelier madrilène dont il abandonna, 2 ans plus tard, la direction à ses fils – Joseph et Henri.

- Sollicités, dans toute la péninsule, pour l’ornementation de prestigieux édifices civils ou religieux, ces derniers ouvrirent rapidement plusieurs succursales à Barcelone, Saint-Sébastien et Paris.

- L’antenne parisienne, dirigée par le benjamin de la fratrie, Charles, connut un développement significatif après la Première guerre mondiale.

=> Participa à l’effort de reconstruction des régions dévastées, et fournit un nombre considérable de décors en Île-de-France et dans le nord du pays.

- Dès le début des années 20, la production des ateliers Mauméjean était répertoriée dans quelques 5000 cathédrales, basiliques et chapelles.

- Pour faire face à ce formidable afflux de commande, les frères Mauméjean édifièrent alors une immense manufacture, à Hendaye.

- Le savoir-faire de l’entreprise fut récompensé lors de diverses manifestations internationales célébrées, entre 1925 et 1937, à Philadelphie, Pampelune, Milan, Barcelone, Séville ou Liège.

- Lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs industriels modernes organisée à Paris, en 1925, les peintres verriers édifièrent leur propre pavillon sur le quai d’Orsay et obtinrent le premier prix pour deux belles compositions Art déco intitulées Le Luxe et Les Arts.

- Freinée, en France comme en Espagne, par l’éclatement des grands conflits internationaux, l’activité des ateliers connut, à la Libération, un nouvel essor.

- Ce regain d’activité ne permit cependant pas de renouer avec l’incroyable production d’avant-guerre, et l’entreprise tomba, après la disparition de Joseph et Charles Mauméjean, en 1952 et 1957, dans une longue phase de déclin et d’oubli.

 

Le décor

- Nous savons que, dès les premiers courriers échangés avec les curés bâtisseurs, les frères Mauméjean proposaient un programme iconographique relativement précis et complet : il s’agissait pour eux d’essayer de faire accepter certaines des réalisations qu’ils avaient pu réaliser par le passer et ainsi économiser du temps, et donc de l’argent.

- C’est ce qui se passa sans doute à Saint-Julien où l’on retrouve divers éléments précédemment installés dans les églises Saint-Jean-Bosco, Saint-Anne-de-la-Butte-aux-Cailles et Saint-Pierre-de-Chaillot à Paris, ou l’église du Christ-Roi à Belle-Ile-en-Mer.

- À Saint-Julien, Charles Mauméjean utilisa la claire organisation des espaces pour développer un programme iconographique qui, du baptistère au chœur, conduit le fidèle de la naissance à la résurrection du Christ.

 

- À l’entrée, on trouve les fonds baptismaux, isolés du reste du bâtiment de manière à rappeler les formes primitives des premiers baptistères.

- Centre = piscine octogonale avec cette imposante cuve baptismale surmontée d’une châsse rappelant certaines pièces d’orfèvrerie merovingiennes.

- Au fond, vitrail représente le baptême de Clovis.

- Généralement, Charles Mauméjean aimait instaurer une certaine interaction entre le vitrail et la piscine en faisant se prolonger les eaux du vitrail par une mer de tesselles de mosaïque flamboyantes

=> Ici semble que l’on ait préféré laisser opérer le charme de cette belle verrière décorative  aux reflets dorés.

- D’emblée, le décorateur donne le ton : à la simplicité de l’architecture, il oppose la magnificence et la polychromie du décor.

 

- Dans la nef, les épisodes de la Passion, illustrés sur un long bandeau, sont associés à des figures de saints martyrs locaux (saint Grat, saint Léon, saint Galactoire) ou plus universels (saint Joseph, Vierge, Sainte Thérèse).

- Dans chaque chapelle latérale, Mauméjean instaure un dialogue entre les matériaux et les techniques.

- De manière quasi systématique, il mêle vitrail, peinture monumentale, mosaïque, orfèvrerie et sculpture pour créer un ensemble cohérent et puissamment décoratif.

- Derrière chaque autel, une baie cintrée est laissée aveugle dans sa partie inférieure pour recevoir un décor peint et mosaïqué, tandis que la partie supérieure - sorte de fenêtre ouverte sur le divin -  est agrémentée de vitraux ou de dalle de verre.

- Les deux registres sont liés par une solide statue-colonne en cèdre réalisée par le sculpteur Raymond Dubois.

- Comme tous ces confrères, Mauméjean se référa aux peintres verriers du Moyen Âge qui, selon lui, avaient instauré la « saine tradition ».

- Délaissant le traditionnel vitrail tableau et un type de représentation jugé trop pictural, (c.a.d faisant appel à des techniques de représentation de la perspective, des volumes et des modelés héritées de la Renaissance), il proposa ici de grandes verrières légendaires composées de gros cabochons de verre colorés dans la masses formant de larges aplats colorés.

- Comme Maurice Denis, Georges Desvallières et l’ensemble des personnalités réunies au sein des ateliers d’art sacré nés après la 1ere Guerre mondiale, Charles Mauméjean cherchait la modernité dans un certain archaïsme (visages, postures, etc).

 

- Les chapelles sont reliées par un intéressant chemin de croix qui constitue une variante d’un modèle que les Mauméjean ont largement exploité à Paris et en Province.

- A Saint-Julien, les stations sont composées d’un bandeau peint directement sur le mur et rehaussé de tesselles de mosaïque.

- Chaque peinture est divisée en trois registres verticaux.

- Au centre, un tableau rectangulaire représente la scène historiée.

- Il est encadré par 2 inscriptions différentes : d’une part le titre de la station et, d’autre part, un commentaire tiré de la Bible qui confère un autre niveau de lecture.

- Désirant faire œuvre pédagogique et instructive, il appuya sur le pathétique des situations en prêtant aux personnages des attitudes et des mouvements exagérés, traduits par un style associant une naïveté prétendument médiévale au synthétisme de l’Art déco.

- En cette période de reconquête spirituelle, Mauméjean proposa donc, à la manière des artistes du Moyen Âge, une sorte de bande dessinée très pédagogique.

 

- Raymond Dubois, étudia à l’école d’arts appliqués du Mans, puis s’inscrivit à l’école des arts décoratifs et à l’Académie des beaux-arts de Paris.

- Profondément croyant, il entra rapidement dans l’atelier d’Henri Charlier, sculpteur mystique qui menait une vie d’ermite au sein d’une communauté d’oblats.

- Préconisant un retour à la taille directe, Charlier entraîna nombre de ses élèves vers une certaine « sobriété des formes et des matières ».

- Comme d’autres sculpteurs de sa génération, Dubois travailla, loin des salons, à l’élaboration d’une sculpture authentique et sobre qui, s’inspirant de la statuaire médiévale, lassait une grande place au métier.

- Cette représentation de Notre-Dame-de-l’Espérance, qui mesure 2,60 mètres, fut exposée au Mans, dans les premières semaines d’avril 1947, où elle reçut un très bon accueil : « Quelle pureté de ligne, quelle spiritualité dans cette Vierge qui rappelle le grand art de nos imagiers du Moyen Age !  ».

- La mère du Christ, représentée en pied, porte une tunique plissée et ceinturée autour de la taille.

- Une vaste cape recouvre l’ensemble de son corps, ne laissant entrevoir que son visage et ses bras délicatement posés sur sa poitrine.

- Dubois se concentra ici sur l’attitude de la Vierge qui semble incliner la tête en signe d’acceptation.

- Grâce à la force du modelé, à ce caractère quelque peu rustique, l’artiste sut mettre en avant le coté maternel de la Vierge qui apparaît d’ailleurs ici enceinte (détail de la tunique).

- La transition entre la nef et le chœur fut repensée, au début des années 1980, en fonction des transformations  liturgiques imposées par le concile Vatican II.

- Dans un souci de proximité avec les fidèles, on décida notamment d’avancer l’autel vers la nef.

- Pour cela les architectes, qui devaient respecter la configuration mise en place par Henry Challe et Charles Mauméjean, ajoutèrent une estrade polygonale, surélevée par 3 marches, en direction de la nef.

 

- Le chœur est dominé par la présence d’un imposant retable en forme de mitre percé de 3 baies cintrées sous lesquels sont installés les personnages d’une Cène un petit peu particulière.

- Pourquoi ?

- Jésus n’est accompagné que de 11 apôtres.

- Mauméjean a volontairement oublié Judas de manière à insister sur le caractère liturgique - moins anecdotique - de cette première communion.

- Ce caractère liturgique est d’ailleurs accentué par la mise en scène du retable qui se trouve dans l’exact prolongement de maitre autel.

- Mauméjean recourt ici a un procédé cher au baroque, le trompe-l’œil, pour instaurer un trait d’union entre le monde terrestre et le monde céleste : le Christ préside à chaque office célébré dans l’église tandis que le fidèle participe - plus que symboliquement - à la communion des apôtres.

- D’un point de vue stylistique, Mauméjean exprime ici un certain primitivisme et renoue avec la sobriété des fresquistes du quattrocento.

- Comme une flèche, le pignon du retable conduit le regard du spectateur vers une Croix triomphale.

- Entre la lune et le soleil, les figures peintes et rehaussées de mosaïque du Christ, de la Vierge et de saint Jean rappellent l’expressionnisme de Georges Desvallières.

 

- Enfin, la baie axiale de l’abside est consacrée au thème du Christ-Roi.

- Dans une sorte de féerie, d’apothéose de couleur et de lumière, saint Julien se prosterne aux pieds du Christ et lui offre la maquette de l’église.

 

- Jeu ornemental abstrait que l’on retrouve sur les panneaux latéraux du chœur en mosaïcristal, des vitraux de la tour lanterne, et au niveau de la rosace en dalle de verre.

 

- Ce scintillement était complété par les différentes pièces de mobilier (tables d’autel, tabernacles, bénitiers, …) qui associent mosaïque et gros cabochons de verre moulés et teinté dans la masse, à la manière des pièces d’orfèvrerie mérovingiennes ou des bijoux de Josef Hoffmann.

 

- Concernant la sculpture, il faut signaler le contraste existant entre les belles figures rustiques conçues par Dubois et les statues de Gabard que l’on retrouve ici moins inspiré qu’à Notre-Dame.

 

- Saint-Julien constitue une remarquable illustration du renouveau de l’art sacré durant l’entre-deux-guerres, que la richesse, la cohérence de son programme décoratif témoigne du dynamisme des prêtres palois qui surent se montrer aussi ambitieux que leurs collègues parisiens.

 

Benoît Manauté

Avril 2015

 

Eglise St Julien par Benoît Manauté
Eglise St Julien par Benoît Manauté
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Eglise St Julien par Benoît Manauté
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