Message de carême du pape François
Pour accéder à la présentation qui en a été faite à la presse le 4 février 2014 par le cardinal Sarah, suivre ce lien :
— > Conférence de presse du cardinal Sarah
Pour accéder au texte intégral du message du Pape, en version française, sur le site du Vatican, suivre ce lien :
— > Message du Pape pour le Carême 2014
Qu'en dit
Le Pape nous invite à soulager toutes les misères d'aujourd'hui
Il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. Ces mots de Saint Paul aux corinthiens servent au Pape François pour élaborer son message de Carême 2014. Que nous disent-elles, ces paroles de Saint Paul, à nous chrétiens d’aujourd’hui ? Que signifie, pour nous aujourd’hui, cette exhortation à la pauvreté, à une vie pauvre dans un sens évangélique ? Ce sont les questions posées par le Pape François au début de son message. Le pape qui invite les chrétiens à se pencher sur la misère de leurs contemporains. Dans son premier Message pour le Carême, il encourage les chrétiens à soulager la misère, qu’elle soit matérielle, morale ou spirituelle. Dans ce texte publié ce mardi, le pape fustige l’idolâtrie du pouvoir et de l’argent, l’esclavage "du vice et du péché". Il appelle à une conversion "à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage".
Compte-rendu de Bernard Decottignies :
Dieu est descendu parmi nous, il s’est dépouillé, pour nous devenir semblable en tout. Il nous a envoyé son fils. La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Et le Pape de souligner que nous pourrions penser que cette « voie » de la pauvreté s’est limitée à Jésus, et que nous, qui venons après Lui, pouvons sauver le monde avec des moyens humains plus adéquats. Il n’en est rien, assure le Pape. A chaque époque et dans chaque lieu, Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les Sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres. Quel enseignement en tirer : nous les chrétiens, nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager.
Et le Pape distingue alors trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La misère matérielle est celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine. Il faut tout faire pour queles consciences se convertissent à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage. Pour le Pape la misère morale n’est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. L’alcool, la drogue, le jeu, la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l’avenir et ont perdu toute espérance ! Et le Pape ajoute : la misère morale peut bien s’appeler début de suicide. Quant à la misère spirituelle, nous pouvons trouver dans l’Evangile l’antidote véritable. Pour ce Carême, le Pape nous rappelle que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand-chose. Méfions-nous de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.
Texte intégral avec
« Il s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » (cf. 2 Co 8, 9).
Message du pape François
Il s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté (cf. 2 Cor 8,9)
Chers frères et soeurs,
Je voudrais vous offrir, à l’occasion du Carême, quelques réflexions qui puissent vous aider dans un chemin personnel et communautaire de conversion. Je m’inspirerai de la formule de Saint Paul : « Vous connaissez en effet la générosité de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (2 Co 8,9). L’Apôtre s’adresse aux chrétiens de Corinthe pour les encourager à être généreux vis-à-vis des fidèles de Jérusalem qui étaient dans le besoin. Que nous disent-elles, ces paroles de Saint Paul, à nous chrétiens d’aujourd’hui ? Que signifie, pour nous aujourd’hui, cette exhortation à la pauvreté, à une vie pauvre dans un sens évangélique ?
1. La grâce du Christ
Ces paroles nous disent avant tout quel est le style de Dieu. Dieu ne se révèle pas par les moyens de la puissance et de la richesse du monde, mais par ceux de la faiblesse et la pauvreté : « Lui qui est riche, il est devenu pauvre à cause de vous ... ». Le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui est l’égal du Père en puissance et en gloire, s’est fait pauvre ; il est descendu parmi nous, il s’est fait proche de chacun de nous, il s’est dépouillé, « vidé », pour nous devenir semblable en tout (cf. Ph 2,7 ; He 4,15). Quel grand mystère que celui de l’Incarnation de Dieu ! C’est l’amour divin qui en est la cause, un amour qui est grâce, générosité, désir d’être proche et qui n’hésite pas à se donner, à se sacrifier pour ses créatures bien-aimées. La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien-aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances. C’est ce qu’a fait Dieu pour nous. Jésus en effet, « a travaillé avec des mains d’homme, il a pensé avec une intelligence d’homme, il a agi avec une volonté d’homme, il a aimé avec un coeur d’homme. Né de la Vierge Marie, il est vraiment devenu l’un de nous, en tout semblable à nous, hormis le péché » (ConC. OECum. Vat. II,Const. past. Gaudium et Spes, n. 22 § 2).
La raison qui a poussé Jésus à se faire pauvre n’est pas la pauvreté en soi, mais, – dit Saint Paul – [pour que] « ... vous deveniez riches par sa pauvreté ». Il ne s’agit pas d’un jeu de mots, ni d’une figure de style ! Il s’agit au contraire d’une synthèse de la logique de Dieu, de la logique de l’amour, de la logique de l’Incarnation et de la Croix. Dieu n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique. Ce n’est pas cela l’amour du Christ ! Lorsque Jésus descend dans les eaux du Jourdain et se fait baptiser par Jean Baptiste, il ne le fait pas par pénitence, ou parce qu’il a besoin de conversion ; il le fait pour être au milieu des gens, de ceux qui ont besoin du pardon, pour être au milieu de nous, qui sommes pécheurs, et pour se charger du poids de nos péchés. Voilà la voie qu’il a choisie pour nous consoler, pour nous sauver, pour nous libérer de notre misère. Nous sommes frappés par le fait que l’Apôtre nous dise que nous avons été libérés, non pas grâce à la richesse du Christ, mais par sa pauvreté. Pourtant Saint Paul connaît bien « la richesse insondable du Christ » (Ep 3,8) « établi héritier de toutes choses » (He 1,2).
Alors quelle est-elle cette pauvreté, grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riches ? C’est justement sa manière de nous aimer, de se faire proche de nous, tel le Bon Samaritain qui s’approche de l’homme laissé à moitié mort sur le bord de la route (cf. Lc 10,25ss). Ce qui nous donne la vraie liberté, le vrai salut, le vrai bonheur, c’est son amour de compassion, de tendresse et de partage. La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu. La pauvreté du Christ est la plus grande richesse : Jésus est riche de sa confiance sans limite envers le Père, de pouvoir compter sur Lui à tout moment, en cherchant toujours et seulement la volonté et la gloire du Père. Il est riche comme est riche un enfant qui se sent aimé et qui aime ses parents et ne doute pas un seul instant de leur amour et de leur tendresse. La richesse de Jésus, c’est d’être le Fils ; sa relation unique avec le Père est la prérogative souveraine de ce Messie pauvre. Lorsque Jésus nous invite à porter son « joug qui est doux », il nous invite à nous enrichir de cette « riche pauvreté » et de cette « pauvre richesse » qui sont les siennes, à partager avec lui son Esprit filial et fraternel, à devenir des fils dans le Fils, des frères dans le Frère Premier-né (cf. Rm 8,29).
On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (L. Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ.
2. Notre témoignage
Nous pourrions penser que cette « voie » de la pauvreté s’est limitée à Jésus, et que nous, qui venons après Lui, pouvons sauver le monde avec des moyens humains plus adéquats. Il n’en est rien. A chaque époque et dans chaque lieu, Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les Sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres. La richesse de Dieu ne peut nous rejoindre à travers notre richesse, mais toujours et seulement à travers notre pauvreté personnelle et communautaire, vivifiée par l’Esprit du Christ.
À l’exemple de notre Maître, nous les chrétiens, nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à oeuvrer concrètement pour la soulager. La misère ne coïncide pas avec la pauvreté ; la misère est la pauvreté sans confiance, sans solidarité, sans espérance. Nous pouvons distinguer trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La misère matérielle est celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine : ceux qui sont privés des droits fondamentaux et des biens de première nécessité comme la nourriture, l’eau et les conditions d’hygiène, le travail, la possibilité de se développer et de croître culturellement. Face à cette misère, l’Eglise offre son service, sa diakonia, pour répondre aux besoins et soigner ces plaies qui enlaidissent le visage de l’humanité. Nous voyons dans les pauvres et les laissés-pour-compte le visage du Christ ; en aimant et en aidant les pauvres nous aimons et nous servons le Christ. Notre engagement nous pousse aussi à faire en sorte que, dans le monde, cessent les atteintes à la dignité humaine, les discriminations et les abus qui sont si souvent à l’origine de la misère. Lorsque le pouvoir, le luxe et l’argent deviennent des idoles, ils prennent le pas sur l’exigence d’une distribution équitable des richesses. C’est pourquoi il est nécessaire que les consciences se convertissent à la justice, à l’égalité, à la sobriété et au partage.
La misère morale n’est pas moins préoccupante. Elle consiste à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l’angoisse parce que quelques-uns de leurs membres – souvent des jeunes – sont dépendants de l’alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ! Combien de personnes ont perdu le sens de la vie, sont sans perspectives pour l’avenir et ont perdu toute espérance ! Et combien de personnes sont obligées de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l’absence d’égalité dans les droits à l’éducation et à la santé. Dans ces cas, la misère morale peut bien s’appeler début de suicide. Cette forme de misère qui est aussi cause de ruine économique, se rattache toujours à la misère spirituelle qui nous frappe, lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l’échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment.
L’Evangile est l’antidote véritable contre la misère spirituelle :le chrétien est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et qu’il nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance ! Il est beau d’expérimenter la joie de répandre cette bonne nouvelle, de partager ce trésor qui nous a été confié pour consoler les coeurs brisés et donner l’espérance à tant de frères et de soeurs qui sont entourés de ténèbres. Il s’agit de suivre et d’imiter Jésus qui est allé vers les pauvres et les pécheurs comme le berger est allé à la recherche de la brebis perdue, et il y est allé avec tout son amour. Unis à Lui, nous pouvons ouvrir courageusement de nouveaux chemins d’évangélisation et de promotion humaine.
Chers frères et soeurs, que ce temps de Carême trouve toute l’Eglise disposée et prête à témoigner du message évangélique à tous ceux qui sont dans la misère matérielle, morale et spirituelle ; message qui se résume dans l’annonce de l’amour du Père miséricordieux, prêt à embrasser toute personne, dans le Christ. Nous ne pourrons le faire que dans la mesure où nous serons conformés au Christ, Lui qui s’est fait pauvre et qui nous a enrichi par sa pauvreté. Le Carême est un temps propice pour se dépouiller ; et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver, afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté. N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand chose. Je me méfie de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.
Que l’Esprit Saint, grâce auquel nous « [sommes] pauvres, et nous faisons tant de riches ; démunis de tout, et nous possédons tout » (2 Co 6,10), nous soutienne dans nos bonnes intentions et renforce en nous l’attention et la responsabilité vis-à-vis de la misère humaine, pour que nous devenions miséricordieux et artisans de miséricorde. Avec ce souhait je vous assure de ma prière, afin que tout croyant et toute communauté ecclésiale puisse parcourir avec profit ce chemin de Carême. Je vous demande également de prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Marie vous garde.
Du Vatican, le 26 décembre 2013
Fête de Saint Étienne, diacre et protomartyr
FRANCISCUS
L’Evangile, véritable antidote à la misère
Dans son message pour le Carême,
le Pape invite les chrétiens à remettre le Christ
au centre de leur vie et à annoncer l’Evangile,
meilleur remède à la misère spirituelle.
« Il s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa pauvreté » (cf. 2 Co 8, 9).
C’est le titre du message du Pape François pour le carême 2014. Comme l’a fait remarquer le Cardinal Sarah en le présentant à la presse (4 février), ce message donne au Pape l’occasion de revenir sur un thème qui lui est cher : celui de la pauvreté. Le Carême n’est-il pas ce temps des trois « P » : prière, mais aussi pauvreté et partage ?
La pauvreté de Jésus, c’est sa manière de nous aimer
Ce qui est plus original, c’est d’envisager la pauvreté de l’humanité à partir de celle du Christ. Un Christ Centre et Cœur de la foi de l’Eglise, qui, de riche qu’Il était, comme Fils de Dieu, comblé par le Père, est devenu pauvre à cause de nous, rappelle le Pape, qui pose cette question : « Quelle est cette pauvreté grâce à laquelle Jésus nous délivre et nous rend riche ? ». La réponse est un peu inattendue : « La pauvreté de Jésus, c’est sa manière de nous aimer » (et non pas – seulement – de ne rien posséder). « La charité, l’amour, signifient partager en tout le sort du bien aimé. L’amour rend semblable, il crée une égalité, il abat les murs et les distances », fait-il remarquer (Ce qui est aussi une manière de dire que la charité envers le frère ne peut faire l’économie de la pauvreté, ou du moins d’une certaine sobriété, comme il le souligne plus loin).
Le style de Dieu : proximité, tendresse, partage
Et le Pape de replacer l’incarnation, sur laquelle il revient souvent, au cœur du sujet : Dieu « n’a pas fait tomber sur nous le salut depuis le haut, comme le ferait celui qui donne en aumône de son superflu avec un piétisme philanthropique », mais Il est descendu parmi les hommes. « Quel grand mystère que celui de l’incarnation de Dieu ! » s’exclame le Pape, rappelant comment Dieu a voulu être milieu de nous, pour se faire proche et se donner, jusqu’à se sacrifier pour ses créatures bien aimées. « La pauvreté du Christ qui nous enrichit, c’est le fait qu’il ait pris chair, qu’il ait assumé nos faiblesses, nos péchés, en nous communiquant la miséricorde infinie de Dieu ».
Ce « style de Dieu », fait de proximité, de tendresse et de partage, rappelle le Pape, n’a pas pris fin avec la mort du Christ mais prévaut toujours : « Dieu continue à sauver les hommes et le monde grâce à la pauvreté du Christ, qui s’est fait pauvre dans les sacrements, dans la Parole, et dans son Église, qui est un peuple de pauvres ».
Distinguer entre pauvreté et misère
Une réalité qui permet au Pape – autre point fort de ce message – de redonner leur sens aux mots, quitte à considérer les deux côtés de la médaille : la pauvreté, dont le Christ s’est revêtu et se revêt encore, n’est pas cette misère matérielle (que le mot sous-entend le plus souvent) qu’il faut combattre, mais une attitude évangélique à regarder positivement (et à adopter). Comme le rappelle le Cardinal Sarah, « l’histoire de l’Eglise est pleine d’exemples de personnes qui, pour amour du Christ pauvre, ont choisi la pauvreté, pour combattre la misère ». D’où le choix de ce dernier terme, que le Pape préfère à celui de pauvreté, pour parler des carences (toutes inacceptables) dont souffre l’humanité.
La vraie misère, c’est de ne pas vivre en enfants de Dieu
La misère, un mot plus large, qui permet de tenir compte de toutes les dimensions de la personne : matérielle, morale mais aussi spirituelle. Car l’homme ne vit pas seulement de pain et, comme l’a déjà dit le Pape, (ce que rappelle le Cardinal Sarah), l’Eglise n’est pas une ONG. « Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l’échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment », affirme le Pape.
Auparavant, il avait rapporté : « On a dit qu’il n’y a qu’une seule tristesse, c’est celle de ne pas être des saints (Léon Bloy) ; nous pourrions également dire qu’il n’y a qu’une seule vraie misère, c’est celle de ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ ». D’où son exhortation à proposer l’Evangile comme « véritable antidote à la misère spirituelle ».
Soyons des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance
Annoncer la Bonne Nouvelle de l’Evangile : Voilà, comme le rappelle le Pape, l’éternel challenge du chrétien : « [Celui-ci] est appelé à porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe, selon laquelle Dieu est plus grand que notre péché et qu’il nous aime gratuitement, toujours, et selon laquelle nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle. Le Seigneur nous invite à être des hérauts joyeux de ce message de miséricorde et d’espérance (…) pour consoler les cœurs brisés et donner l’espérance à tant de frères et sœurs qui sont entourés de ténèbres ».
Comment nous priver pour enrichir les autres de notre pauvreté ?
Mais la mission du chrétien ne s’arrête pas là, surtout pendant le carême, temps d’effort et de purification : « À l’exemple de notre Maître (…) nous sommes appelés à regarder la misère de nos frères, à la toucher, à la prendre sur nous et à œuvrer concrètement pour la soulager Le Carême est un temps propice pour se dépouiller ; et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver,afin d’aider et d’enrichir les autres avec notre pauvreté. N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal : un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand-chose. Et le Pape de nous adresser ce signal, presque en conclusion : « Je me méfie de l’aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal ».
Celui qui veut « une Église pauvre pour les pauvres » distingue la misère subie de la pauvreté choisie.
Le message renouvelle son invitation à « se dépouiller ».
Alors que la crèche et le sapin de Noël sont en train d’être retirés de la place Saint-Pierre, le Vatican a rendu public hier le message du pape pour le prochain grand temps liturgique, le Carême, qui commencera dans tout juste un mois, le 5 mars. Les deux temps sont liés comme le signale le pape François, qui ouvre ce qui constitue le premier message deCarême de son pontificat en s’exclamant devant le mystère « de l’Incarnation de Dieu ». « Le Christ (…) s’est dépouillé, “vidé”, pour nous devenir semblable en tout », rappelle le pape, qui a daté son texte du 26 décembre, fête de saint Étienne, au lendemain de Noël.
Ce rattachement au premier martyr rappelle la radicalité de l’engagement chrétien tel que l’a toujours conçu – et vécu – Jorge Bergoglio. « N’oublions pas que la vraie pauvreté fait mal », avertit le pape, dont l’aumônier, Mgr Konrad Krajewski, s’est permis de reprocher à un cardinal de ne donner que de son superflu en donnant l’aumône près du Vatican. Le pape latino-américain avait, plus largement, prévenu les cardinaux, dans l’homélie au lendemain de son élection, qu’on ne pouvait suivre le Christ sans parler de la Croix, au risque sinon de devenir une « ONG humanitaire ».
« LA MISÈRE EST LA PAUVRETÉ SANS CONFIANCE, SANS SOLIDARITÉ, SANS ESPÉRANCE »
Une citation reprise mardi 4 février par le cardinal Robert Sarah, président du Conseil pontifical « Cor Unum » (équivalent au Saint-Siège d’un ministère supervisant les œuvres de charité), lorsqu’il a expliqué à la presse le message du pape en compagnie d’un jeune couple italien et leurs deux jeunes enfants, de retour d’une longue mission à Port-au-Prince à Haïti. « Assister de loin est plus facile que vivre au milieu (des pauvres, NDLR) », a estimé la jeune femme. « Trop souvent, on considère la pauvreté simplement dans sa dimension sociologique et on la comprend comme un manque de biens », a regretté le cardinal guinéen, opposant cette définition à celle d’une « Église pauvre pour les pauvres » chère au pape François, où la « pauvreté fait l’objet d’un choix précis ». À l’inverse de la misère subie, le message de Carême opposant sans détour les deux mots. « La misère est la pauvreté sans confiance, sans solidarité, sans espérance », définit le pape François, distinguant trois types de misères à combattre : matérielle, morale et spirituelle. « La misère morale peut bien s’appeler début de suicide », écrit l’ancien archevêque de Buenos Aires, énumérant les dépendances à l’égard « de l’alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie ».
« LA PAUVRETÉ DU CHRIST EST LA PLUS GRANDE RICHESSE »
Cette misère, poursuit le pape familier des bidonvilles, « se rattache toujours à la misère spirituelle » contre laquelle il propose l’Évangile comme « l’antidote véritable ». « La pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle », développait-il déjà à ce sujet dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, parue en novembre. « La première pauvreté des peuples est de ne pas connaître le Christ », affirmait dans le même sens la bienheureuse Teresa de Calcutta, que citait Benoît XVI dans son premier message de Carême en 2006.
« La pauvreté du Christ est la plus grande richesse », résume le pape François, opposant longuement aussi ces deux mots dans son message. De retour des Philippines, où il s’est rendu la semaine dernière à la suite du typhon dévastateur Haiyan du 8 novembre dernier, le cardinal Sarah a été touché par le témoignage de personnes lui déclarant qu’elles avaient « tout perdu, sauf la foi ».
« LA RICHESSE DE DIEU NE PEUT NOUS REJOINDRE À TRAVERS NOTRE RICHESSE »
La jeune famille italienne revenue d’Haïti après trois ans et demi a, dans le même sens, raconté « la richesse » reçue en vivant au milieu de la population haïtienne. « La richesse de Dieu ne peut nous rejoindre à travers notre richesse mais toujours seulement à travers notre pauvreté personnelle et communautaire », résume le pape qui, à sa façon, a choisi d’habiter un trois-pièces dans une résidence communautaire du Vatican plutôt que, seul, au Palais apostolique. Un témoignage en écho à son invitation à « se dépouiller », que reprend le pape François dans son message, comme il l’avait fait à Assise le 4 octobre dernier.
Le pape et la Curie vivront une forme de « dépouillement » spirituel par une retraite en début de Carême prêchée exceptionnellement à l’extérieur de Rome, à Albano, par Mgr Angelo De Donatis, prêtre du diocèse de Rome.
Sébastien Maillard, à Rome
Les "trois Misères" du pape François
En publiant son premier message de carême, le pape François démontre qu'il n'est pas l'homme de gauche dans lequel beaucoup veulent l'enfermer mais un guide spirituel radical et exigeant. Pour lui, l'aumône doit «faire mal» !
On enferme facilement le pape François dans l'image d'un pape de gauche focalisé sur la seule question de la justice sociale. En publiant, mardi, son premier message de carême (du 5 mars au 20 avril) destiné à orienter la méditation des chrétiens pendant les quarante jours qui précèdent la fête de Pâques, il répond à cette simplification en expliquant que la «pauvreté» est tout autant «matérielle», que «morale» et «spirituelle». Et il propose trois définitions de la misère.
● «La misère matérielle»
La «misère matérielle» est «celle qui est appelée communément pauvreté et qui frappe tous ceux qui vivent dans une situation contraire à la dignité de la personne humaine: ceux qui sont privés des droits fondamentaux et des biens de première nécessité comme la nourriture, l'eau et les conditions d'hygiène, le travail, la possibilité de se développer et de croître culturellement».
Il rappelle que l'Église combat chaque jour ce type de misère qui «enlaidit le visage de l'humanité» mais aussi parce qu'«en aimant et en aidant les pauvres nous aimons et nous servons le Christ». Ainsi «l'engagement» des chrétiens sur ce terrain consiste «à faire en sorte que, dans le monde, cessent les atteintes à la dignité humaine, les discriminations et les abus qui sont si souvent à l'origine de la misère».
Sans oublier que «lorsque le pouvoir, le luxe et l'argent deviennent des idoles, ils prennent le pas sur l'exigence d'une distribution équitable des richesses. C'est pourquoi il est nécessaire que les consciences se convertissent à la justice, à l'égalité, à la sobriété et au partage».
● «La misère morale»
Vient ensuite «la misère morale» qui n'est «pas moins préoccupante» aux yeux de François, rectifiant par là l'image de pape uniquement social dans laquelle il est souvent enfermé: cette misère-là consiste «à se rendre esclave du vice et du péché. Combien de familles sont dans l'angoisse parce que quelques-uns de leurs membres - souvent des jeunes - sont dépendants de l'alcool, de la drogue, du jeu, de la pornographie!».
Des situations souvent subies car beaucoup «sont obligés de vivre dans cette misère à cause de conditions sociales injustes, du manque de travail qui les prive de la dignité de ramener le pain à la maison, de l'absence d'égalité dans les droits à l'éducation et à la santé». Dans ces cas, explique François, «la misère morale peut bien s'appeler début de suicide». Forme de misère qui est «aussi cause de ruine économique».
● «La misère spirituelle»
Troisième définition de la misère décriée par François: «la misère spirituelle». Elle «frappe lorsque nous nous éloignons de Dieu et refusons son amour. Si nous estimons ne pas avoir besoin de Dieu, qui nous tend la main à travers le Christ, car nous pensons nous suffire à nous-mêmes, nous nous engageons sur la voie de l'échec. Seul Dieu nous sauve et nous libère vraiment.»
Pour le pape, en tout cas, «l'Évangile est l'antidote véritable contre la misère spirituelle». Le rôle des chrétiens consiste à «porter en tout lieu cette annonce libératrice selon laquelle le pardon pour le mal commis existe» et que «Dieu est plus grand que notre péché» et qu'«il nous aime gratuitement, toujours», car «nous sommes faits pour la communion et pour la vie éternelle».
Quant à la conclusion pratique du pasteur de l'Église catholique, elle propose aux chrétiens - appelés à se «convertir» pendant ce temps de carême - un appel à une «aumône» radicale, c'est-à-dire qui «fasse mal»! Pas seulement d'ordre matériel, par exemple pour quelqu'un qui serait dans l'aisance. Mais le «dépouillement» de quelque chose à laquelle la personne se sent vraiment attachée: «Le carême est un temps propice pour se dépouiller, insiste François, et il serait bon de nous demander de quoi nous pouvons nous priver, afin d'aider et d'enrichir les autres avec notre pauvreté. N'oublions pas que la vraie pauvreté fait mal: un dépouillement sans cette dimension pénitentielle ne vaudrait pas grand-chose. Je me méfie de l'aumône qui ne coûte rien et qui ne fait pas mal.»